Pourquoi la vitesse critique est un concept erroné ?

Le concept de vitesse critique

Les concepts de puissance critique, dans les sports d’endurance, et de vitesse critique en course à pied tiennent une part importante dans la discipline de la physiologie. Sans préjuger de sa réalité en cyclisme ou d’autres sports, ce concept de vitesse critique en course à pied constitue en tout cas une fausse approche. C’est la conclusion d’un article scientifique, écrit par des Espagnols en 2022.

Le concept de puissance critique a été développé en 1965 grâce au travaux de Monod et Scherrer. Il a été popularisé que plus récemment en course à pied grâce à la commercialisation des capteurs de puissance Stryd, qui permet de calculer sa puissance critique.

La puissance en course à pied, en Watts, représente l’effort réalisé pour se déplacer. Sur un terrain plat et rigide, et en l’absence de vent, si le coureur reste à la même vitesse, sa puissance reste constante. En course à pied sur terrain plat, la puissance critique peut alors être assimilée à la vitesse critique.

Ce qui n’est pas forcément le cas à vélo, où si le coureur arrête de pédaler (puissance nulle), sa vitesse n’est pas nulle, en particulier en descente.

La définition de la vitesse critique

Le modèle de vitesse critique fait l’hypothèse (fausse !) qu’il existe une relation hyperbolique entre la vitesse moyenne sur des efforts maximum entre 2 et 15 minutes.

La vitesse critique d’un coureur est déterminée lors d’efforts maximums réalisés sur des jours différents, sur des durées comprises entre 2 et 15 minutes. En course à pied, c’est par exemple, courir un 1500m et un 5000m à fond.

A partir de ces 2 résultats, il serait ainsi possible de tracer sur un graphique la vitesse moyenne obtenue en fonction du temps d’effort. Et la magie des relations hyperboliques fait que l’on peut linéariser la distance en fonction du temps d’effort. Il est ainsi possible de tracer une droite passant l’ensemble des points. La pente de cette droite représente alors la vitesse critique.

Le concept original de puissance critique, proposé en 1965 par Monod et Scherrer indique que la puissance critique définit la puissance que l’on peut tenir « pendant une période très grande sans fatigue » voire plus tard pour certains « quasiment indéfiniment ». Un demi-siècle plus tard, les physiologistes restent sur cette définition.

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi une vitesse que l’on peut tenir sans fatigue, c’est une vitesse que je peux tenir 5 à 6 heures facilement, soit de l’endurance fondamentale. Mais, d’après les calculs la vitesse critique est au final une intensité tenable au maximum entre 20 et 60 minutes dans la plupart des articles scientifiques ! Ce serait plus une vitesse proche du seuil anaérobie (où il faut s’employer) que d’un effort facile…

Les compétitions d’athlétisme, et les records personnels, ou sur une saison d’un athlète, permettent de calculer aisément cette vitesse critique. Et de s’apercevoir que ça marche assez moyennement, puisque suivant les distances retenues, la vitesse critique varie sensiblement…

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L’exemple d’un calcul de la vitesse critique pour un coureur

Calcul de la vitesse critique pour un coureur
Si on s’en tient à la définition classique avec des performances entre 2 et 15 minutes, les 2 compétitions les plus proches pour Haile Gebreselassie sont le 1500m (3:31:76) et le 5000m (12:39:36), tous deux réalisées en 1998

D’après le modèle de la vitesse critique, si on trace la droite entre deux points proche de 2 et 15 minutes, ici sur 1500m et 5000m, on obtient l’équation suivante :

d = VC * t + d’

Dans l’exemple de l’Ethiopien Haile Gebreselassie, la vitesse critique (VC ou critical speed CS en anglais) est de 23,0km/h et d’ = 0,147km, parfois appelé capacité de distance anaérobie (CDA), qui serait d’après les auteurs du modèle la distance que l’on peut courir en utilisant uniquement ses réserves anaérobies.

Cette équation en distance peut aussi se transformer en vitesse en divisant la distance par le temps. On obtient :

v(vitesse critique) = VC + d’ / t = 23.0 + 0.147 / t

Ou mieux à partir d’une distance de compétition v(vitesse critique) = VC / (1 – d’/d)

Haile Gebreselassie serait capable de courir à 23km/h pendant une grande durée ! En courant une heure (t = 1), il serait capable de courir à 23,147km/h. Or le record de « Gebre » est de 21,29km/h sur une heure, comme indiqué plus bas.

« Gebre » court le 5km à 23,7km/h et le 10km à 22,75km/h. Cette vitesse critique, ne peut donc être tenue qu’une vingtaine de minutes par l’Ethiopien ! On est loin d’une vitesse que l’on tenir pendant une très grande période sans fatigue. Le modèle de vitesse critique est-il cohérent ?

Les 4 limites du concept vitesse critique énoncées dans l’article espagnol

  • L’incohérence de la démonstration expérimentale de la définition classique de la puissance et de la vitesse critique.
  • La large gamme d’intensités relatives auxquelles la puissance et la vitesse critique a été identifiée comme se produisant.
  • Le choix arbitraire de la durée des essais d’exercice utilisés pour évaluer la puissance et la vitesse critique.
  • Le choix inapproprié du modèle de fonction hyperbolique pour décrire la relation entre la vitesse et le temps.

C’est bien simple, les physiologistes ne sont pas d’accord sur les références chronométriques qu’il faut prendre. Certaines publications recommandent de prendre un premier chrono compris entre 2 et 3 minutes, et un second entre 10 et 15 minutes. Alors que d’autres recommandent plutôt un second chrono autour de 20 minutes, quand parfois ce n’est pas au-delà de 40 minutes.

Si la modélisation hyperbolique existait réellement pour des efforts entre 2 minutes et 1 heure, la pente de la droite ne serait pas sujette à ces différences, puisque la vitesse critique calculée serait identique quelque soit le choix de la durée de l’effort le plus long.

Pour vérifier si les distances choisies avaient une influence sur la vitesse critique, les chercheurs espagnols ont pris les résultats de courses de 2019 des 10 athlètes hommes et femmes de niveau national, avec pour chacun un résultat sur 1500m, 3000m, 5000m et 10000m.

Si on prend uniquement le 1500m, le 3000m et le 5000m, on obtient une vitesse critique moyenne de 19,6 km/h (96,9% de la vitesse moyenne sur le 5000m). Mais si on ajoute le 10000m, on obtient une vitesse critique moyenne de 18,7 km/h (97,7% de la vitesse moyenne sur le 10000m). La vitesse critique dépend avant tout de la plus longue distance sélectionnée pour le calcul, comme on le verra plus tard sur l’exemple de l’Ethiopien Haile Gebreselassie.

De plus, dans la littérature scientifique, certains auteurs ont énoncé que cette puissance critique peut être très basse, inférieure à 40% de la puissance maximale. D’autres indiquent que la vitesse critique est proche de la VMA (vitesse maximale aérobie) voire supérieure. Cette énorme différence s’explique par la définition inconsistante de la vitesse critique.

Et comment modéliser la vitesse en course à pied ?

Le modèle hyperbolique est une loi de puissance entre le temps et la puissance. L’étude de référence avec ce modèle date de 1925, une période où le Français Jean Bouin détenait le record du monde de l’heure avec 19 021m et que les distances supérieures étaient peu courues.

Mais en réalité, avec mes anciens collègues du CNRS/MIT, nous avons démontré en 2018 que la modélisation avec une représentation logarithmique du temps et la puissance donnait de bien meilleurs résultats, en particulier sur semi-marathon et marathon.

L’exemple des records personnels de Haile Gebreselassie, ex-recordman du monde du 5000m et 10000m et marathonien de top niveau mondial, du 3000 m au marathon, est marquant. Pour les calculs, toutes les performances du 3000m au marathon ont été prise en compte et non plus juste le 1500 et le 5000m plus haut. L’intérêt de garder la vitesse critique de 23,0km/h calculée plus haut était limitée car toutes les performances auraient été supérieures à la vitesse critique de 23km/h, et donc encore moins favorable pour le modèle.

Le tableau ci-dessous montre la vitesse réelle (2ème colonne) sur ses records personnels, puis la vitesse estimée via la vitesse critique (3ème colonne) et la vitesse estimée via le modèle du CNRS/MIT (5ème colonne), ainsi que le pourcentage d’écart entre la théorie et la réalité.

Haile Gebreselassie a été choisi car il a une large palette de distances courues avec une carrière sur piste et route, un peu comme le recordman du monde du marathon Eliud Kipchoge.

Un pourcentage positif (colonnes 4 et 6) indique que le coureur a couru moins vite que la prédiction et donc que proportionnellement ses performances sont moins bonnes que les autres. Au contraire, un pourcentage négatif indique que le coureur a fait mieux que les prédictions, et constitue donc ses meilleures performances.

Le modèle de puissance critique fait mieux que notre modèle du CNRS/MIT uniquement sur 15km et 25km (-0,60% et 0,10%), deux distances très peu courues. Dans le cas présent, le modèle du CNRS/MIT est en réalité plus cohérent car les 1,23% et 0,79% montrent bien que ces 2 performances n’ont pas été optimisées (pourcentage positif), sur 2 distances peu courues en compétition. Sa vitesse est même meilleure sur un 10 miles (16,09km) que sur le 15km, preuve que sa performance sur 15km est moyenne pour lui (excellente pour le commun des mortels 😄).

Le modèle du CNRS/MIT montrent que les performances de “Gebre” sur 5000 m et 10000 m sont ses meilleures performances, ce qui était le résultat attendu, puisque ça constituait à l’époque 2 records du monde.

Pour le tableau récapitulatif suivant, les vitesses ont été calculées avec la distance officielle en paramètre d’entrée.

Distance (km)Vitesse réelle (km/h)Vitesse (modèle Critique)v(VC) / v – 1 Vitesse (modèle MIT / CNRS)v(MIT) / v – 1
324,2628,6217,93%24,300,16%
3,2224,0827,8315,57%24,200,49%
5,0023,7024,543,55%23,54-0,70%
10,0022,7522,18-2,49%22,50-1,10%
15,0021,6221,49-0,60%21,881,23%
16,0921,7421,40-1,60%21,780,15%
20,0021,5121,16-1,61%21,45-0,26%
21,1021,4821,11-1,76%21,37-0,54%
21,2921,2921,10-0,87%21,350,33%
25,0020,9420,970,10%21,110,79%
42,19520,4220,661,17%20,32-0,50%
Toutes les distances (du 3000m au marathon) ont été prises en compte pour calculer ici les coefficients des 2 modèles : v(vitesse critique) = VC / (1 – d’/d) = 20.23 / (1 – 0.88 / d) et v(MIT) = a’ * ln(t) + b’ = 21.35 – 1.41 * ln (t) puis résolution numérique pour estimer v(MIT) en fonction de la distance

Sur cet exemple de Gebreselassie, d’ailleurs, pour compléter l’article espagnol, on peut voir que plus on ajoute de courses dans le calcul de la vitesse critique, plus la vitesse critique diminue (la 2ème ligne prend en compte les 2 premières distances, la 3ème les 3 premières, et ainsi de suite…). La vitesse critique est donc comprise entre 20,23km/h et 22,96km/h, soit plus de 11% d’écart. Laquelle faudrait-il retenir ?

Distance (km)Vitesse réelle (km/h)Vitesse Critique (km/h)
324,26
3,2224,0821,82
5,0023,7022,96
10,0022,7522,14
15,0021,6221,13
16,0921,7421,12
20,0021,5121,03
21,1021,4821,00
21,2921,2920,92
25,0020,9420,72
42,2020,4220,23

J’espère que cet article vous aura permis de voir les limites de la vitesse critique, et donné envie de creuser plus en détails le sujet, avec deux lectures ci-dessous, deux articles scientifiques (en anglais) accessibles gratuitement.

Si vous utilisez la puissance en course à pied, pas la peine de jeter votre capteur Stryd, car si le concept de puissance critique est peu cohérent, les courbes de puissance que vous pouvez avoir doivent vous permettre en principe d’estimer la puissance que vous pourriez tenir pour une durée donnée.

Vous pouvez aussi estimer vos prochaines performances en course avec notre prédicteur de performance en course à pied en ligne, issu du modèle du CNRS/MIT.

La puissance en course à pied est utile en particulier sur les routes vallonnées et peut vous aider à mieux gérer votre effort. Si vous utilisez la puissance critique dans votre entraînement, et que ça fonctionne bien, il est très probable que la puissance critique donnée par Stryd soit proche de votre puissance au seuil anaérobie, que l’on peut tenir en théorie entre 40 minutes et 1 heure. Si vous utilisez des pourcentages de puissance critique ou des pourcentage de puissance au seuil anaérobie, vous obtiendrez donc des puissances très proches. 

L’article qui déconstruit le concept de puissance critique en course à pied :

Gorostiaga EM, Sánchez-Medina L, Garcia-Tabar I. Over 55 years of critical power: Fact or artifact? Scand J Med Sci Sports. 2022 Jan;32(1):116-124.

L’article présentant la modélisation de performance en course à pied avec la représentation logarithmique du temps et la vitesse :

Mulligan M, Adam G, Emig T. A minimal power model for human running performance. PLoS One. 2018 Nov 16;13(11):e0206645.

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Guillaume Adam2h23 au marathon, finisher de l'UTMB et ex-athlète de l'équipe de France. Coach diplômé, Guillaume est ingénieur et auteur des algorithmes qui te fournissent tes séances d'entraînement.

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